beta - fireinvestment.io logo beta - fireinvestment.io logo Home Markets News Resources Burn it

Burn it

Login Register

2023-03-09 12:00:00

L'influence écoresponsable l'est-elle vraiment?

Sur les réseaux sociaux, des influenceurs autoproclamés "green" remettent la seconde main au goût du jour, multiplient les contenus mode et les achats d'occasion. Une façon de se déculpabiliser tout en continuant à renouveler sa garde-robe toutes les saisons. Colis dans les bras, smartphone à la main, une jeune femme se trémousse sur un mashup pop des années 1980 dans une pièce remplie de vêtements épars. Face à son miroir, elle filme sa première vidéo de la journée. En légende: "Imagine tu continues à te ruiner sur Shein [site de fast fashion made in China, ndlr], car tu ne connais pas les bonnes marques à chercher sur Vinted que je donne ici." L'inscription est incisive, le message est passé en une poignée de secondes. Une énième irrévérence à l'industrie du textile, dont cette influenceuse a fait son fer de lance. Giulia Castellucci, 21 ans, alias Giulia&Gastone sur les réseaux sociaux, cumule 263.000 followers sur Instagram et TikTok. Chaque jour depuis un peu moins d'un an, celle-ci prodigue à sa communauté des conseils pour acheter des vêtements de seconde main. Comme une dizaine d'autres créateurs de contenu, la jeune femme s'inscrit dans un mouvement en plein essor sur les réseaux sociaux: l'influence écoresponsable, qui consiste à consommer mieux tout en restant à la page. Sur nos écrans, les "hauls" -pratique populaire consistant à montrer ses nouveaux achats à ses followers- tendent à devenir de plus en plus vertueux. Exit Zara, H&M et les autres mastodontes du vêtement: les plateformes d'achat et vente d'occasion, Vinted ou encore les friperies indépendantes sont le nouveau cool à adopter. Car depuis la pandémie, la tendance est à l'écologie. Les multiples rapports du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), les catastrophes naturelles en chaîne et l'apparente inaction des pouvoirs publics ont fini par susciter une prise de conscience globale. Même dans le monde de l'influence. "La fast fashion, c'est de la mode jetable, assure Giulia Castellucci. C'est fait pour qu'on ne porte les vêtements qu'une fois, pour qu'ils se cassent et qu'on rachète encore et encore." Chaque année, la filière du textile pèse en effet 4 milliards de tonnes de gaz à effet de serre dans le monde, selon l'Agence de la transition écologique (Ademe). Rien qu'en Europe, on se débarrasse de 4 millions de tonnes de textiles par an, dont seulement 10% sont revendus localement en seconde main. C'est un reportage de France 2 sur l'envers du décor de l'industrie du textile qui finit par convaincre Giulia, immergée dans l'univers des brocantes depuis son enfance, de s'habiller uniquement avec des vêtements d'occasion. Aujourd'hui étudiante en école de commerce, la jeune femme a transformé ses convictions en business. Elle est à la tête d'une boutique de seconde main en ligne et d'un compte professionnel sur l'application Vinted, dont elle fait la publicité sur les réseaux sociaux. Pour avoir du succès sur ces plateformes, il faut être omniprésent. À titre d'exemple, TikTok met en avant les créateurs de contenu qui publient quotidiennement quatre à cinq vidéos. "Je postais des vidéos tous les jours, pour avoir 100.000 abonné·es le plus vite possible", confirme Giulia Castellucci. "C'est pour cela qu'il y a un véritable paradoxe à prôner une influence green qui serait fondée sur un modèle de non-consommation, car il y a toujours une certaine incitation à consommer", analyse Stéphanie Lukasik, docteure en sciences de l'information et de la communication à l'Université d'Aix-Marseille. Autrice de L'Influence des leaders d'opinion, la chercheuse dénonce les effets pervers de ce système régi par des codes capitalistiques, poussant encore et toujours à la surconsommation. Rencontrées à la caisse d'une friperie Guerrisol du XVII arrondissement de Paris, Émeline et Élea, étudiantes en droit âgées de 23 ans, s'apprêtent à repartir avec deux vestes de costume chacune. Les deux amies tirent leurs inspirations mode des réseaux sociaux, notamment des influenceuses Clara Victorya, Rubi Pigeon ou encore Rosa Boh-neur, véritables figures de proue du mouvement écoresponsable sur Instagram. "J'ai tendance à consommer plus depuis que j'achète de la seconde main, assume Élea, parce que c'est moins cher et écoresponsable." La jeune femme dépense environ 250 euros par mois sur Vinted pour renouveler sa garde-robe et confie en revendre en quantité. De quoi continuer à beaucoup consommer, sans culpabiliser. C'est d'ailleurs sur ce créneau que Vinted a fondé son identité: "Si tu ne le portes pas, vends-le". Le slogan, comme une rengaine, a inondé nos médias et a progressivement imposé une nouvelle norme. Un changement de mentalité qui n'est pas au goût de tous. "Pendant soixante-dix ans, la seconde main n'a intéressé personne, s'exaspère Valérie Fayard, directrice générale déléguée de l'association Emmaüs. Ça allait à tout le monde qu'Emmaüs aille collecter gratuitement les vêtements. Maintenant que ça devient quelque chose de rentable, des entreprises privées se sont emparées du marché." Depuis l'avènement des plateformes de revente en ligne, l'association caritative regrette la baisse de la qualité des dons, souvent cédés en dernier recours "lorsque les gens n'arrivent pas à les vendre". À cela s'ajoute la mauvaise facture du textile produit de nos jours par des enseignes d'ultra-fast fashion comme le géant chinois Shein. Résultat: en vingt ans, Valérie Fayard a vu le nombre de dons envoyés au recyclage ou au rebut augmenter significativement. "Quand on collectait 100 tonnes de produits, on en réutilisait 60, et 40 allaient au recyclage et au déchet. Aujourd'hui, c'est l'inverse, détaille-t-elle. C'est une concurrence purement déloyale!" Autre bémol de Vinted: l'impact environnemental des envois de colis, pouvant provenir de dix-huit pays différents. En un clic, un habitant des Hauts-de-France peut recevoir un t-shirt à 5 euros en provenance du Portugal ou du sud de l'Italie, et le revendre aussi sec s'il ne lui va pas. De son côté, l'application aux 23 millions d'utilisateurs rien qu'en France -80 millions à travers le monde- se voit plutôt comme un "modèle complémentaire à celui des associations caritatives". "Pour beaucoup de nos membres, gagner de l'argent supplémentaire ou récupérer de l'argent sur les articles qu'ils n'utilisent plus leur apporte une valeur, parfois bien nécessaire dans le contexte économique actuel", insiste Natacha Blanchard, directrice de la communication de Vinted. Les membres ont aussi la possibilité de reverser l'argent gagné sur la plateforme à des associations, tient-elle à ajouter. En France, ils peuvent uniquement faire un don à Médecins du monde pour soutenir l'Ukraine. En parallèle, Vinted entend accroître son développement et faire du marché de l'occasion "le premier choix dans le monde entier". Et cela passe notamment par des partenariats avec des influenceurs aux profils très variés, écoresponsables ou non. Comme Vinted, le leader du marché du réemploi français Leboncoin -qui a refusé de répondre à nos questions- multiplie également les collaborations sur les réseaux sociaux. Quant à Emmaüs, elle envisage aussi d'inclure ces nouvelles célébrités dans sa campagne de communication sur le don. Aujourd'hui, difficile de se passer des influenceurs pour promouvoir son affaire, les réseaux sociaux étant le nouvel eldorado des publicitaires. Le temps passé par les jeunes de 15 à 34 ans devant la télévision -et par conséquent devant les annonces- a chuté de moitié en dix ans, rapporte l'observatoire de l'audiovisuel français Médiamétrie en janvier 2023. Durant ces dix années, l'influence est devenue un métier à part entière, encore en pleine structuration. Pour se soulager d'un certain nombre de tâches administratives et développer leur image, la plupart des créateurs de contenu sont aujourd'hui affiliés à des agences de communication. Chez l'une d'entre elles, Beyond, la responsable du pôle influence et agente de Giulia Castellucci, Agathe Dussol, affirme vérifier la promesse de chaque marque avec laquelle travaillent ces "talents", mais confie "avoir déjà eu affaire à des marques peu scrupuleuses". Celles-ci pratiquaient le dropshipping, qui consiste à vendre plus cher un objet valant en réalité une bouchée de pain. Depuis, l'équipe de Beyond est plus méticuleuse dans le choix de ses partenariats, en particulier lorsqu'il s'agit d'entreprises se présentant comme écoresponsables et éthiques, assure Agathe Dussol. "On a une expertise et on leur demande des informations. Et puis, ajoute-t-elle un peu gênée, une recherche internet sur la marque, ça va très vite." On sent que le sujet est sensible. L'agente se veut claire et expéditive. L'affaire Magali Berdah est passée par là. À la suite d'un "Complément d'enquête" diffusé sur France 2 au sujet de la directrice de l'agence d'influence de téléréalité Shauna Events, accablée par des accusations d'arnaques, le petit monde de l'influence s'est affolé. Peur d'être associé à son nom ou à sa façon de travailler, crainte des journalistes et du regard acerbe du public... Même chez les créateurs de contenus écoresponsables, on s'inquiète. Après avoir accepté de nous rencontrer, l'agence AD Crew, représentante d'importants noms de l'influence "green", à l'instar de Maoui2SaintDenis, Rubi Pigeon, ou encore Rosa Boh-neur, a par exemple rétropédalé au dernier moment, prétextant "un problème contractuel". Avant d'avouer à demi-mot que ses talents "ne sont pas à l'aise, de peur que leurs propos soient déformés, notamment avec tout ce qu'il s'est passé avec Magali Berdah". L'agence ajoute alors que ses influenceurs préfèrent parler d'écoresponsabilité sur leurs propres canaux médiatiques. Tout ce remue-ménage a fait infuser des réflexions en haut lieu. Le ministre de l'Économie et des Finances, Bruno Le Maire, lançait début janvier une consultation publique afin de réguler le secteur de l'influence autour d'un futur "code de bonne conduite". De son côté, Béatrice Bellini, directrice de la chaire Unesco "Consommation durable et sociétés inclusives", souhaite même réformer le modèle du marketing en ligne. "Il faut apprendre aux influenceurs à aborder le sujet jusqu'au bout, c'est-à-dire consommer moins et mieux. Et s'appuyer sur ceux qui en ont déjà fait leur leitmotiv." Pour elle, cela pourrait passer par promouvoir sur leurs réseaux une mode réellement locale et durable, mais toujours amusante. "Tout le monde pourrait avoir une base de vêtements indémodables qui tiennent dans le temps, et puis ajouter des pièces de location de bonne qualité ou modulables pour rester tendance", imagine-t-elle. Encore faudrait-il que la filière textile accepte elle-même de se réinventer.

Read the Disclaimer : All content provided herein our website, hyperlinked sites, associated applications, forums, blogs, social media accounts and other platforms (“Site”) is for your general information only, procured from third party sources. We make no warranties of any kind in relation to our content, including but not limited to accuracy and updatedness. No part of the content that we provide constitutes financial advice, legal advice or any other form of advice meant for your specific reliance for any purpose. Any use or reliance on our content is solely at your own risk and discretion. You should conduct your own research, review, analyse and verify our content before relying on them. Trading is a highly risky activity that can lead to major losses, please therefore consult your financial advisor before making any decision. No content on our Site is meant to be a solicitation or offer.